lundi 13 avril 2015

Dernière ligne droite

Changement de lune et changement de temps. Les pluies diminuent, même si personne n’ose encore parler de « beau temps ». Comme lors de la première période, et à peu près au même moment (en gros après dix jours passés à suer sur les layons) arrive la période des migrations. Des petits groupes se forment pour passer la nuit ailleurs, généralement dans des endroits à la vue panoramique, sous les prétextes les plus divers et au grand supplice de la direction qui voit désormais d’un mauvais œil la dispersion de son troupeau. Daniel et Jean-François sont partis ce matin pour deux jours faire un relevé de la végétation dans ce qui semble être un ancien site amérindien. Une « montagne couronnée » sise à quelques encablures du Tchoukouchipan. Cette appellation désigne une butte élevée entourée d’un fossé à peu près circulaire dont la trace peu naturelle et encore visible signale le lieu d’un ancien village. Des « montagnes couronnées » ont été datées ailleurs en Guyane et certaines sont vieilles d’un millier d’années. Cette soudaine passion pour les traces des anciens amérindiens, en tous cas celles situées dans des endroits enchanteurs et le plus loin possible du camp est apparemment communicatrice. Claire, Thierry, Chantale et quelques autres, par effet d’imitation, suivent nos deux botanistes sur les traces d’un passé aussi éloigné dans le temps que dans l’espace, en tout cas suffisamment reculé pour échapper à ma surveillance accrue ces jours derniers.

Malgré une imagination fertile, les ichtyologues peuvent difficilement prétendre élargir leur prospection au sommet des inselbergs. D’autant que les cours d’eau ne sont ni rares ni poissonneux. Chaque journée à patauger ne ramène que peu d’espèces (une trentaine jusqu’ici) et le congé attribué aux plus méritants, ou à ceux qui ont la bonne idée de travailler sur d’autres sujets que les poissons (ou les escargots, voir plus bas) va leur passer au raz de l’épuisette. La pêche du jour fait (encore) débat : agilae ? geayi ? Un Rivulus « absolument » différent selon Fred. En tous cas pas un gaucheri, admet Seb du bout des lèvres. Mais difficile pour lui de se prononcer trop ouvertement après la gaffe du premier jour. C’est peut-être un poisson annuel, une espèce qui passe la saison sèche sous forme d’œuf et vit sa courte vie dans des mares en saison des pluies, alimentées par les criques qui sortent de leur lit. « Il ressemble à un Diapteron, il y en a un au Surinam » jubile Fred, toujours exubérant. Ce serait une première pour la Guyane, aucun poisson annuel n’y est signalé. Régis reste muet, pas question de prendre parti et d’être moqué par l’ensemble de la communauté locale, toujours prompte à sortir le goudron et les plumes pour des erreurs grossières de détermination in situ. Le naturaliste peut aussi être vachard, même si le troc de spécimens entre spécialités est toujours aussi soutenu. C’est d’ailleurs un poisson trouvé dans une trace de botte et rapporté par Quentin qui a mis le trio sur la trace du « peut-être » (Seb) « sans doute » (Fred) nouveau Rivulus.

Rivulus sp. ©Frédéric Mélki/MNHN/PNI

Dans ces échanges, on note quand même un tropisme en direction des éléments féminins de l’équipe. Personne ne peut croire sérieusement au double postulat d’un amour immodéré et universel pour les champignons et d’une détestation absolue et générale pour les escargots. Benoit et Gargo n’ont reçu qu’une coquille vide depuis le début du séjour, alors que les offrandes à Mélanie et Heidy s’accumulent. Tous les mâles se pressent, un champignon à la main vers la table de travail de nos deux mycologues. Ils arrivent couverts de boue, tenant leur cadeau par le pied, ayant pris tous les risques et de nombreuses gamelles, pour garder intact et à bout de bras le symbole peu équivoque de leur hommage. S’ensuit une accumulation spectaculaire sur la table de travail des courtisées, résultat de l’incessant ballet des courtisans autour de ladite table, le tout dans une totale indifférence au laborieux tamisage de la litière effectué par Benoit et Gargo à quelques mètres de là, se crevant les yeux pour sortir de la poussière d’humus un escargot millimétrique. Forcément, le score est sans appel : deux cents espèces pour les champignons contre une petite dizaine pour les mollusques terrestres.

Gunther, après avoir récupéré de sa « virose » et fini de cracher dans tous les coins n’a eu que le temps d’attraper quelques libellules avant d’être mobilisé (comme tout le monde) dans la recherche de MF, et pour se faire piquer deux jours plus tard par un scorpion. Avec un pareil poissard, les odonates peuvent être tranquilles. Les petits maux, quasiment absents en première période, semblent s’acharner sur ce groupe. Manu s’est cassé un orteil, quelques intestins souffrent, les mycoses handicapent les tenants de la botte en caoutchouc (versus ceux des chaussures qui ne sèchent jamais), témoignage supplémentaire du culte voué au mycélium et à la moisissure chez les pro-fongiques du camp de Mitaraka. Allez, courage, plus que cinq jours et vous pourrez faire sécher tout ça sur le tarmac de Maripasoula.

Olivier Pascal

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