jeudi 9 avril 2015

Fausse alerte

Allongé sur la roche du sommet en cloche, le regard fixé sur le grain arrivant de l’ouest des Mitaraka, j’entends un bruit de moteur perçant la couche nuageuse et le silence. Un hélicoptère, brièvement aperçu au milieu de la crasse, cherche à se poser au camp de base. Aucun vol prévu avant dix jours. Un bref regard à Xavier qui m’accompagne et on dévale la pente. Aucune autre explication possible qu’un problème. Lequel ? Une évacuation sanitaire sans aucun doute ; mais de qui et pourquoi ?

Arrivé sur la DZ, nous y trouvons Jean-Félix, un des pilotes de la compagnie d’hélicoptères, souriant. Il vient de Taluen, l’un des derniers villages amérindiens sur le haut Maroni et s’est fendu d’un détour de 80 km pour amener le sac de Dalens oublié sur le tarmac à Maripasoula. Un sacré veinard celui-là. Il est ravi, mais c’est un des rares ce jour-là. Il pleut à seaux et ça traîne des pieds dans le camp. Olivier et Benoît n’arrivent pas à faire sécher la litière pour la tamiser et récupérer les escargots millimétriques qui s’y trouvent. L’équipe des botanistes peine à finir leurs relevés sous les trombes d’eau. Les ichtyologues pestent contre les criques qui débordent, envahissent les bas-fonds et diluent leurs espoirs de bonnes pêches. Les poissons, déjà rares dans ces têtes de bassins, sont introuvables dans toute cette flotte. L’Alama étant pour l’heure trop large pour les filets, nos spécialistes remontent les petits affluents qui la gonflent, loin en amont vers leurs sources. Les filets tendus en travers d’un torrent cascadant dans les éboulis à la base de la « cloche » n’arrêtent dans leurs mailles qu’une douzaine de petits poissons, tous de la même espèce : Ituglanis nebulosus. Ce poisson chat de quelques centimètres est un parasite d’autres poissons dont il racle le mucus pour se nourrir. Il peut aussi, avec les crochets qui hérissent ses opercules, creuser des galeries dans la chair des branchies de sa proie et s’abreuver de son sang. C’est l’occasion pour Fred de conter l’anecdote de son cousin amazonien, le « Candiru ». Il confirme que sa mauvaise réputation n’est pas un mythe, même si les accidents recensés se comptent sur les doigts d’une main. Ce poisson, qui rentre aussi dans les ouïes d’autres espèces plus imposantes, peut s’insérer dans tous les orifices humains à portée. Seul le bistouri peut le déloger d’un urètre ainsi obstrué. Qu’il suive les jets d’urine subaquatiques des baigneurs pour remonter le courant chaud vers la source n’est cependant pas confirmé. Le récit des mœurs étranges du « poisson-zizi » n’arrive pas à dérider la tablée ; la pluie assombrit le ciel et les humeurs. Les conversations sont moroses, les sujets fangeux. Eddy finit de noyer ses voisins sous le déluge des maladies qu’il a contractées en forêt tropicale, une liste longue comme ce jour qui n’en finit pas. Même nos deux mycologues, Heidy et Mélanie, sont moins euphoriques qu’à leur habitude. Il y a pourtant des champignons partout : une centaine d’espèces garnissent déjà le séchoir du camp et elles sont bien les seules à s’extasier devant la moisissure qui recouvre le village des Mitaraka. Mais elles aussi veulent du soleil, au moins de temps en temps, pour les bolets et les chanterelles.
Ituglanis nebulosus, poisson parasite. ©Frédéric Mélki/MNHN/PNI

Seule lumière au tableau d’aujourd’hui, une nouvelle Gentiane du genre Chelonantus (qui deviendra bientôt Helia) trouvée par Guillaume. Lors d’une mission précédente, il croyait en avoir trouvé une mais pour découvrir sitôt rentré qu’elle avait déjà été récoltée par d’autres et sur le point d’être décrite. Il connaît donc bien les espèces de ce genre pour les avoir toutes fébrilement passées au crible. Cette fois, il en est sûr, personne n’ira lui couper l’herbe sous le pied lorsqu’il écrira son acte de naissance pour la Science.

Dalens vient de récupérer, en plus de son sac, un longicorne qu’il n’avait jamais capturé. Pas de trace de Glypthaga lignosa dans la base de données de la SEAG qui liste les soixante-mille spécimens de longicornes capturés en Guyane depuis sept ans. Une bête rarissime qui existe en trois ou quatre exemplaires dans les collections. Ce n’est même pas lui qui a mis la main dessus : la bestiole trottinait sur la table à manger et fut aussitôt mise en tube par un quidam ; un geste automatique, dicté par l’altruisme qui règne au village. Un sacré veinard, je vous dis.

Olivier Pascal

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour échanger avec nous autour de cette expédition