dimanche 15 mars 2015

Séchoir

La deuxième percée vers la surface à travers le rideau vert est désormais creusée. Un chemin vers un inselberg est ouvert depuis deux jours et déjà plus de la moitié de nos naturalistes s’y sont rendus pour prendre un bol d’air sec, loin du jus vert des bas-fonds, de la grande éponge tropicale. Ce piton granitique, affublé du nom exotique de T-1 par on ne sait quel géographe-poète, a été rebaptisé « sommet en cloche » par Jean-Jacques de Granville en 1976, le premier botaniste à avoir herborisé cette tête rocheuse partiellement chauve. Au village des Mitaraka, ce caillou de 555 m est plus simplement désigné par le nom de « La cloche ».

Le « sommet en cloche » un des inselbergs du massif des Mitaraka ©Sylvain Hugel/MNHN/PNI

L’hydrophobie croissante a poussé Mathias et Laetitia à tracer cette échappatoire vers l’île que nous avons en vue depuis l’aire d’atterrissage-lavage-bavardage du camp. Depuis, c’est l’endroit à la mode ; et on en croise du monde sur cette sente. Une affluence qui, plus qu’ailleurs sur nos autres layons (cf. billet 4), énerve les atèles du coins, singes déjà facilement irritables à la seule vue d’un naturaliste isolé et à la face éternellement rouge de colère. Les branches pleuvent et les échanges d’insultes fusent dans les deux sens (ça soulage les deux partis en présence, même si l’on ne se comprend pas). « Descends de ton arbre si tu veux devenir un homme ! » et paf, une branche sur la caboche.

Singe araignée ou Atèle ou Kwata ©Rémy Pignoux/MNHN/PNI
Entre orchidées en fleurs et champs de broméliacées, vasques aux eaux claires creusant la dalle rocheuse, nos naturalistes s’ébrouent et contemplent enfin, ébahis, les différents pitons granitiques qui ponctuent le paysage alentours. Maurice a retrouvé le sourire et Fred quantité de grillons connus dans les savanes de la côte ; les autres « font » des bêtes nouvelles, celles qui vivent uniquement dans ces jardins perchés et qui ne supportent pas l’humidité du sous-bois. Des bestioles aux mœurs humaines en quelque sorte. Une tortue (Chelonoidis carbonaria) d’une dizaine de kilos vient allonger la liste des herpétologues. Julien y a enfin trouvé une « bonne » bête, un longicorne que ce spécialiste ne connaît pas (et il en connaît un rayon). Mohamed, spécialiste de lépidoptères en plus de sa qualité de médecin, est ravi et y passera le reste des journées où il n’est pas de garde (nos deux médecins pratiquant une veille au camp chacun leur tour).

Maurice Leponce, spécialiste des fourmis et Xavier Desmier, le photographe de l’expédition sur le « sommet en cloche » ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

Vue du Tchoukouchipan depuis le sommet en cloche ©Olivier Pascal/MNHN/PNI


Yann Chavance, notre reporter embarqué, sur le sommet en cloche ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

Ceux qui n’ont rien à y faire, à part admirer le paysage, mettent les bouchées doubles pour terminer leur programme d’écologie, synonyme de relevés harassants et d’objectifs chiffrés à tenir, et prendre une journée de congé pour s’y rendre. La « cloche » sonnera bientôt la fin du cours de gym pour Boucles d’or et ses oursons.

Une forêt de transition, plus basse et au cortège d’arbres différent, s’interpose à mi-pente entre la forêt où nous nageons et la végétation basse et rase du sommet. Dans cette portion buissonnante, les captures de Sylvain repartent à la hausse, alors que le nombre d’espèces de sauterelles commençait à plafonner lors de ses chasses nocturnes.

Nicolas y cherche (toujours) son Bothrops teniatus (cf. billet "ON Y EST"). Il a fait quatre aller-retour de nuit pour le dénicher, et cassé ses lunettes au dernier. Myope et démunit de l’appareil de détection sophistiqué de ses animaux préférés, il ne « voit » pas dans l’infrarouge et a eu du mal à rejoindre le camp et sa chaleur humaine. Là, il explique à qui veut l’entendre que le Bothrops lachesis est le seul serpent au monde qui ne chasse qu’à l’aide de ses fossettes thermosensibles. Deux trous entre les yeux capables de détecter la chaleur et mesurer la température au millième de degré près à quelques centimètres. Ces deux orifices, lorsqu’ils sont alignés en stéréo sur une cible à la bonne température (celle d’un rongeur) provoquent automatiquement une attaque foudroyante et permettent même de viser les organes les plus chauds (les mieux irrigués) : le cerveau et le cœur. Radical. Ce serpent, à la différence de ses congénères, n’utilise apparemment pas ou peu les autres dispositifs à sa disposition pour « accrocher » sa cible ; la vue, bien sûr, mais surtout l’odorat qui permet à d’autres serpents de confirmer que la proie convoitée est bien un mulot et pas un bipède d’1m 90 comme Nicolas (ces deux mammifères ayant peu ou prou la même température corporelle). Cela dit, ce n’est pas l’odeur qui nous sauvera des autres Bothrops qui se servent correctement de tout l’arsenal à leur disposition : la plupart d’entre nous sent franchement le rat mouillé. La direction recommande à ceux-là d’utiliser plus fréquemment les brosses et bassines mises à disposition ou d’aller plus souvent faire sécher leurs frusques sur le sommet en cloche.

Olivier Pascal

2 commentaires:

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  2. Bon anniversaire à Guillaume qui fête aujourd'hui ses 36 ans parmi vous. Peut-être pas de gâteau mais sûrement beaucoup de bonheur !

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