mercredi 11 mars 2015

Moisson

Pendant que les herpétologues courent dans tous les sens après les Mabuyas (bestioles agiles s’il en est), les entomologistes minent patiemment la forêt de pièges aussi divers que les habitudes des proies convoitées. « J’investis » dit Julien, les yeux mi-clos, insensible à l’agitation de Maël et à la (petite) longueur d’avance affichée au compteur « batraciens » malgré les efforts déployés.
Ces pièges à insectes, de 12 types différents, vont du plus sournois - la « vitre » suspendue, invisible, que tout bon coléoptère vrombissant se paiera au passage, terminant sa courte vie assommé dans une gouttière en plastique remplie de détergent (qui tue) et de sel (qui conserve) – en passant par le plus chirurgical - le piège lumineux sur batterie, calé sur une longueur d’onde particulière (rose, bleu et ultraviolet) pour n’attirer que certains insectes - jusqu’au plus dévastateur : la toile Cryldé™, une matière synthétique imitant une toile d’araignée pour capturer les « volants ». « C’est une chierie pour récupérer les bêtes emmêlées », mais l’avantage est la surface couverte, ces toiles pouvant être tendues sur des dizaines de mètres carrés.
400 pièges au total, pour une production in fine de 5 200 lots d’échantillons d’insectes. Chaque lot pouvant contenir des dizaines, voire des centaines de bêtes.
 
Le contenu d’un seul piège (Piège lumineux automatique) collecté après cinq jours. Mis en sachet avec de l’alcool, les insectes seront triés à Cayenne après l’opération. ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

Au 2 mars, Nicolas a capturé quatorze espèces de lézards et en a vues – et identifiées - cinq autres. Des spécimens de treize espèces de serpents ont été dûment prélevés et trois autres espèces ont été vues. Trente-cinq espèces de reptiles recensées en une semaine. Nos spécialistes des amphibiens, Antoine et Maël annoncent une cinquantaine d’espèces de grenouilles sur la même période. Ils n’iront sans doute pas beaucoup plus loin, les nouveautés étant chaque jour moins nombreuses. Ajoutons à la liste un caïman et deux espèces de tortues. C’est à la fois beaucoup – selon les critères herpétologiques - et infiniment peu, comparé aux milliers d’espèces d’insectes connues et inconnues qui seront « produites » par cette expédition.

Dans la partie réservée aux herpétologues et aux arachnologues, les spécimens sont préparés (prélèvements de tissus et d’organes pour les analyses génétiques) et photographiés. De gauche à droite : Jérôme Murienne, généticien, Maël Dewynter spécialiste des batraciens, Nicolas Vidal, spécialiste des serpents et Vincent Vedel, spécialiste des araignées ©Olivier Pascal/MNHN/PNI

On comprendra alors mieux que l’entomologie est la discipline reine de nos opérations dont la vocation première est la description du vivant. Une forêt tropicale, c’est des plantes et des insectes et pas beaucoup d’autres choses.
Évidemment, un serpent fait mieux dans un tableau de chasse qu’une blatte. Même ici, les naturalistes qui connaissent parfaitement l’importance relative des différents groupes d’organismes et, au-delà de leur aspect et de leur taille, leur importance collective dans le fonctionnement de la forêt, ne résistent pas à l’attraction de la « grosse bête ». Le moindre serpent est mitraillé au téléobjectif, peu d’appareils photos sortent de leur sac pour tirer le portrait d’un bupreste.
La patience de Julien paiera. C’est évidemment chez les insectes que les nouvelles espèces sont attendues, par dizaines, par centaines, alors qu’Antoine aura du mal à nous en dégotter une chez les grenouilles. Les entomologistes remporteront la palme du chiffre haut la main. Le penchant pour les grands nombres fera le reste, attirant irrésistiblement les tabloïds, même si la réalité cachée derrière les zéros alignés sera encore trop souvent gommée : « Des milliers d’espèces nouvelles pour la Science ! » gros titre, mais incomplet. Nous ne verrons jamais imprimé « d’insectes » ou « de mollusques » entre « espèces » et « nouvelles ». Ce n’est pas grave. Nous sommes tenaces. Nous continuerons à rabâcher, imperturbables, que la plupart des espèces vivantes sont petites et rarement photogéniques. La Nature est ainsi faite. Nous revisitons la Planète avec une loupe binoculaire.

Olivier Pascal

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