Avant le grand ballet de l’hélicoptère, chacun fait ses comptes, à l’exception de l’aubergiste qui rase gratis. La Direction presse les partants de faire des estimations « à chaud » sur leur collectes. C’est évidemment impossible pour de nombreux groupes d’insectes, gigantesques réservoirs d’espèces, pour lesquels toute hypothèse à ce stade serait farfelue. Les riches sont toujours les mieux lotis.
Les ordres d’insectes dont la taille est « restreinte » à quelques centaines voire quelques milliers sont ceux qui parlent les premiers. A la criée, Sylvain annonce 960 spécimens capturés et un bon poids de 257 espèces de sauterelles, grillons et criquets (sur un total d’environ un millier d’espèces décrites en Guyane), sa moisson devrait contenir environ vingt pour cent d’espèces nouvelles. Fred a dans ses boites 510 spécimens et 75 espèces pour les seules blattes. 26 espèces de serpents, 31 espèces de lézards pour Nicolas. 59 espèces de batraciens pour Antoine et Maël. C’est déjà un record, mais l’attraction du chiffre rond pousse Maël à patauger dans les bas fonds pour son dernier soir dans les Mitaraka.
Vincent annonce 1 500 spécimens d’araignées, pour 300 à 400 espèces. Selon lui, et pour ce groupe, le coin est riche, mais dans la norme. Ce qui le surprend, c’est le nombre d’espèces qu’il n’a jamais vues, près d’un tiers. Ajoutons à cela un pourcentage d’adultes très au-dessus de la moyenne dans les captures (on ne décrit des espèces que sur des individus adultes), et l’espoir d’espèces nouvelles est, pour lui, plus élevé que pour ses précédentes opérations en Guyane.
Julien émet l’hypothèse d’une première liste de cinq cents espèces animales disponible à mi-avril sur le site de l’INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel). Cette liste dévoilera certains des habitants de la région ; non pas les espèces nouvelles, mais celles déjà connues ailleurs en Guyane ou dans les pays limitrophes. Elle aura une valeur « patrimoniale », apportant une pierre à l’édifice de la connaissance de ce qui vit dans les territoires d’Outre-mer. Les lézards, serpents et batraciens y figureront. Mais aussi quelques groupes d’insectes les mieux étudiés : les orthoptères, les saturnides, sphyngides et noctuelles pour les papillons de nuit, les érotylides, scarabéides et longicornes pour les coléoptères. Livrer cette liste dans un temps aussi bref serait une première victoire sur les impatients de tout poil. Julien pourrait bien gagner son pari, avec son armée de « profilers » de la SEAG (Société d’Entomologie Antilles - Guyane) rôdés à la faune guyanaise et bouillants de recevoir les spécimens de la mission.
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Julien Touroult, directeur adjoint du Service du Patrimoine Naturel au Muséum, coordinateur scientifique de l’opération pour l’entomologie. ©Olivier Pascal/MNHN/PNI |
La liste sera cependant amputée de nombreux noms, ceux des bêtes anonymes appartenant aux groupes « difficiles », un adjectif qui tire un voile pudique sur le chaos taxonomique existant dans certains taxons autant que sur l’absence de spécialistes pour certaines familles, d’insectes notamment. Difficile de dire quand ces bêtes piégées dans le redoutable dispositif mis en place par les entomologistes sortiront de leur fiole en plastique pour être examinées sous toutes les coutures par un expert disponible. Marc Pollet, sympathique et excentrique belge, connaît tous les grands spécialistes des diptères. Il estime que seule une quinzaine de personnes dans le monde sont capables de distinguer qui est qui dans cet ordre d’insectes pour lequel 7 500 espèces sont déjà décrites et qui compterait dix fois ce nombre pour ce qui en reste à décrire et nommer. Pour mémoire, il existe des centaines de spécialistes pour les 5 000 et quelques mammifères vivants sur Terre ; un groupe qui croît à la vitesse d’une ou deux espèces nouvelles par an.
Olivier Pascal
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